Le 5 juin 2009, j’ai assisté à la séance débat du film « Let’s make money » au cinéma indépendant Pandora d’Achères, animé par Marie-Louise Duboin. Ce soir là, j’ai fait la connaissance du mensuel « La Grande Relève ». A la sortie du débat, on m’a gentiment offert les numéros de janvier à mai 2009. J’ai lu avec passion et grand intérêt tous ces numéros. J’étais contente et en même temps, profondément troublée. Je suis toujours contente d’avoir trouvé en France de gens si raisonnables !
Je suis née dans la capitale de l’Equateur, Quito, en Amérique du Sud. Je me suis installée en France il y a bientôt dix ans et dans tout ce temps, je n’ai jamais rencontré de gens qui soient si proches des pensées auxquelles j’avais été familiarisée depuis mon enfance. Parler avec de gens qui ne se trouvent ni dans la droite ni dans la gauche française mais qui proposent un model tout à fait nouveau, logique et différent m’a donné beaucoup d’espoir… mais en même temps… J’étais troublée à cause du profond danger auquel nous sommes tous confrontés en tant qu’habitants de cette planète Terre. Je suis profondément attachée à la nature et donc, par la suite, très attachée au respect de l’environnement ; les dangers liés au réchauffement de la Planète ne m’étaient pas étrangers. Par contre, je maîtrisais assez peu l’économie et l’histoire du système économique actuel.
Les articles si bien écrits, si lucides et solides de Messieurs Aubin, Blavette, Glory, Evrard, etc. m’ont fait comprendre, voir et sentir les similitudes de la crise financière de ces derniers mois, avec celle du 1929. Je ne pense pas que le rapprochement de cette crise, aux deux Grandes Guerres Mondiales, soit anodin. La crise financière de l’époque et toute la haine sociale (qui ont donné comme résultat des milliers de morts, de souffrances et d’injustices) ont des causes communes : un système économique totalement aberrant qui est arrivé à dépasser les frontières, à se faire unique et mondial.
Dans les années 1980, lorsque je vivais toujours à Quito, je me souviens de l’étonnement reflété par ceux qui, étant allés aux Etats-Unis, ressentaient du « développement » : « Il y a des montagnes de voitures à peines abîmés… et on les emmène à la casse ! Ici, on pourrait les remettre en état par n’importe quel mécanicien et là-bas, on les jette ! » Vers la fin des années 1990, j’ai entendu un musicien populaire de Quito, raconter ce qui l’avait choqué de sa visite aux Etats-Unis : « C’est insupportable ! » disait-il, « on se promène n’importe où dans les villes, et on trouve beaucoup de choses en parfait état, jetés dans les rues comme de la poubelle ! C’est insupportable quant on sait qu’en Equateur, comme dans beaucoup d’autres pays, il y a tant de pauvreté… » Les personnes qui avaient eu l’opportunité de visiter le « premier » monde, étaient abasourdies par le gaspillage mais aussi, par l’opulence. Certains étaient critiques, d’autres en rêvaient à volonté. Moi qui étais à l’époque, encore une gamine, je me posais beaucoup de questions.
Plus tard, à Cuba, je rencontrais un Cubain qui rêvait de Miami, il entendait les blagues enregistrées sur une cassette audio, d’une Cubaine déjà installée. Une de ses blagues m’avait marqué profondément, elle faisait référence au papier toilette : « Il y en a pas aux Etats-Unis » disait-elle « peu importe, pas besoin de PQ quand on peut s’essuyer les fesses avec des tranches de jambon ! » …Et la pauvreté ? Je voyais bien que ce cubain, comme tant d’autres, avait une totale ignorance de la pauvreté qui régnait dans le monde, surtout celle qui existe aux Etats-Unis. Un autre Cubain, déjà sorti de Cuba, m’avait dit avec conscience que, pour une personne misérable, Cuba était le « paradis », mais pas pour une personne de classe moyenne qui peut aspirer à d’autres choses que ce que le système cubain peut lui offrir.
Quelques années après, j’ai quitté mon pays pour vivre en France. J’ai alors découvert les raisons pour lesquelles les gens se débarrassent de choses encore utiles : le prix de réparation est excessif ! Mais, qu’est-ce qui est excessif ? La main d’œuvre ? Pas vraiment. J’avais par exemple un mixeur fait d’un vase et d’un moteur. Remplacer le vase cassé, c'est-à-dire, faire l’achat du dit vase coûtait aussi cher que de racheter un nouveau mixeur ! Mais quelle est donc cette logique : comment le vase peut-il coûter aussi cher que le mixeur entier ?
J’ai acheté un blouson en cuir dans un petit village très pauvre de mon pays natal, dont les habitants se consacrent à la fabrication des habits en cuir. Je l’ai payé 40 dollars (c’est la monnaie imposée à mon pays depuis l’an 2000). La fermeture éclaire abîmée, je suis allée en France, chez le cordonnier. Avant de réaliser n’importe quel travail, il avertie toujours : « Cela va vous coûter peut-être aussi cher que ce que votre blouson vous a coûté ! » Et il ne se trompait pas. J’ai donc décidé de ramener mon blouson en Equateur, pour le faire réparer lors d’une autre visite ; cela a été beaucoup moins cher effectivement.
Pendant toutes ces années vécues en France, dans mon pays natal les choses avaient évolué épouvantablement : l’économie de marché régnante s’était aussi implantée. Bien qu’on puisse toujours se faire réparer les choses à des prix plus bas que ceux de la France, ce n’est plus si bon marché pour le coût de la vie locale. En conséquence, les gens font ce que font les gens en France ou aux Etats-Unis : ils n’arrêtent pas de jeter pour acheter et acheter à nouveau. C’est une société de consommation depuis que beaucoup des marchés se sont ouverts et que les banques ont simplifié toutes les démarches pour l’endettement.
Beaucoup avaient apprécié la dollarisation de la monnaie car auparavant la différence ne permettait pas les déplacements autour du monde. Voyager était une affaire de « riches » ! Peu à peu, « tout » est devenu accessible aux classes moyennes, « tout » mais au prix de l’endettement en permanence, du travail sans repos. C’est devenu aussi invivable comme ce que j’avais connu aux Etats-Unis lorsque je suis allée y travailler pendant quelques mois. La qualité de vie des populations de classe moyenne de mon pays natal n’est faite que d’heures et d’heures de travail, de bouchons dans la circulation, de shopping, d’endettement ! Déjà en 1990, tous les commerces étaient ouverts tous les jours de la semaine. Beaucoup avaient commencé à ouvrir 24 heures sur 24, avec service à domicile gratuit ! Cela n’a pas créé plus d’emplois puisque les employés sont toujours obligés d’assurer ces heures de week-end et du soir, sans pouvoir exiger un quelconque supplément d’argent. La misère étant déjà grande, si quelqu’un refusait, ce dernier serait vite remplacé par quelqu’un d’autre ayant besoin de travailler. Les gens ne savent que se soumettre et travailler, rien ne les protège. En plus, ils sont persuadés que c’est à cause de la « paresse » de leurs concitoyens que leur pays n’arrive pas à faire partie des pays développés.
Ce qu’avait rêvé la plupart de mes aïeuls, était enfin arrivé aux classes moyennes de mon Equateur natal : « le pouvoir d’achat » avait finalement augmenté. La pauvreté avait augmenté en parallèle de ce « pouvoir d’achat », depuis la dollarisation et la généralisation des emplois précaires. Les classes moyennes peuvent désormais se permettre ce qu’il ne pouvait pas se permettre auparavant, au coût de l’énorme augmentation de la misère, la délinquance, les dangers, l’insécurité et tous les autres problèmes sociaux. De ce fait, il reste peu de gens de la classe moyenne qui ne s’est pas fait photographier sous la Tour Eiffel. Le tourisme mondial a explosé avec ses dramatiques conséquences pour l’environnement. Je ne dis pas qu’il faudrait interdire le tourisme aux gens des pays en développent, mais je trouve réellement dommage que la plupart de gens de mon pays qui visitent le « monde », ont pour seul intérêt de se faire photographier au pied des monuments historiques les plus connus, dans le seul but de publier ces photos sur les sites de réseaux sociaux… Il y a beaucoup de gens qui s’endettent juste pour se faire féliciter par leur environnement social ; pas d’intérêts historiques, pas d’intérêts environnemental : dans un grand nombre de cas, c’est seulement une question de reconnaissance sociale… On avait été si « pauvres » et laissés de côté du développement auparavant…
Dans toute cette évolution de la vie des classes moyennes de mon pays d’origine (et des autres pays du tiers monde semblables) il n’y a eu aucune amélioration au niveau de la qualité de vie ; je dirais même qu’il y a eu une énorme détérioration : la santé, l’éducation et le temps libre continuent à être des privilèges pour ceux qui peuvent se les permettre, même l’air pur et l’eau propre à boire deviennent des luxes.
L’idée de « travailler plus pour gagner plus » (et gaspiller plus) ne m’a pas vraiment séduit… Il y a dix ans, lorsque je suis arrivée en France, j’avais été fascinée par ces systèmes de santé et d’éducation qui étaient, malgré leurs défaillances, largement plus justes que ceux auxquels j’avais été habituée. La qualité de vie avec les 35 heures de travail, les vacances, les promenades familiales du dimanche, l’intérêt pour la nature, le rassemblement familial autour de la table… étaient des énormes richesses à mes yeux. C’est vrai que la France n’a jamais été le paradis sur terre mais il y a de choses si bien ici ! Seulement… pour combien de temps ? Les enfants lisaient, maintenant ils jouent presque tous à la Nintendo ; les familles se promenaient dans les forêts, maintenant elles vont à Eurodisney et bientôt, elles pourront aller faire du shopping aussi les dimanches !
Bien que j’adore mon pays natal, j’ai choisi de rester en France pour tout ce que la France offrait à mon enfant. Je suis consciente qu’en France, il y a eu toujours un peu de tout, mais la société était franchement moins consommatrice qu’elle n’était aux Etats-Unis ou en Amérique Latine, il y a dix ans. Une profonde tristesse me remplit le cœur en pensant à cette France qui s’éteint peu à peu, ravagée par le pouvoir du système marchand où tout se vend, où tout s’achète …au « meilleur » prix !
Souvent, lorsqu’on me demande si je me plais en France, je fais part de tout ce que je trouve ici bien mieux qu’ailleurs. Pourquoi puis-je voir ce qu’il y a de bien en France ? Parce que je viens d’ailleurs ? Pas forcément. Toutes les personnes qui ont quitté leur pays d’origine, n’ont pas eu les mêmes chances que moi. Il est vrai que je suis arrivée en tant qu’étudiante et heureusement pour moi, la misère n’a jamais été la raison qui m’a poussée hors de mon pays natal.
Il y a peu de temps, je lisais les commentaires écrits à propos du nouveau film de Michael Moore, sur la Bourse et la Crise économique américaine et mondiale. C’étaient les critiques laissées par les usagers de Youtube. J’étais furieuse de lire autant de choses si bêtes ! On critiquait Moore et ses documentaires, les qualifiant de communistes : « Il n’y a que le capitalisme qui peut fonctionner » était clairement marqué !
De nos jours et dans cette crise, comment est-il possible qu’il y est encore des gens qui puissent y croire ! J’ai pensé donc à « Sicko » du même Michael Moore et j’ai compris que le travail fait avec la publicité constante depuis des décennies en faveur du capitalisme et contre le communisme, était profondément enraciné surtout dans les populations américanisées. Cette perception des choses ne provient pas d’un quelconque cynisme, c’est de l’ignorance, j’en suis certaine. La plupart des gens sont éduqués par les mass media. La télévision a très bien joué son rôle d’éducatrice en faisant du capitalisme et de la consommation à outrance, la panacée, le paradis.
Tous ceux qui, comme moi, critiquons le capitalisme, doivent être conscients des origines de nos différences avec cette large population éduquée par la télévision. C’est dans l’éducation que tout prend origine. Je parle de l’éducation fait chez soi et non pas que de celle des institutions parce que le système éducatif est fait et contrôlé pour maintenir l’ordre établi. Je peux voir les défaillances et questionner le système puisque j’étais élevée différemment. Par contre, ceux qui ont grandis soumis à l’obéissance, auront beaucoup de mal à prendre du recul et à questionner. L’éducation fait défaillance car elle est basée sur l’obéissance à l’autorité. Si au lieu de demander obéissance depuis la tendre enfance, on demandait réflexion, les individus grandiraient avec la liberté de penser, de choisir, de questionner. Ce n’est pas seulement l’éducation scolaire qui devraient changer et se remettre en question mais celle que nous donnons en tant que parents chez nous. Sommes-nous en train de faire grandir des moutons ou bien, essayons-nous de faire grandir des êtres libres, capables de penser, de réfléchir, de questionner, de choisir par eux-mêmes ?
Lorsque je parle d’un monde où tous les individus gagneraient la même chose, d’un monde où chacun choisirait son métier, pas en fonction de revenus mais en fonction de ce que chacun trouve du plaisir à faire, les gens se mettent en garde. Un monde où tout le monde serait « pareil » est un monde indésirable pour ceux qui ont besoin de soumettre pour s’imposer. « L’humain est fait de rivalité, c’est la nature humaine !» m’a-t-on déjà affirmé.
Je connais une fille qui grandit entourée de l’amour de son père et de sa mère. Ils ne sont pas riches, mais ils ont tout ce qu’il faut pour vivre heureux en se respectant eux-mêmes. Elle n’a pas de Nintendo comme ses autres copines et copains mais elle n’en veux pas et ne ressent jamais de jalousie vis-à-vis des autres. Elle se permet de rêver à des choses qu’elle désirerait, mais le fait d’y rêver ne l’empêche pas de profiter de ce qu’elle a déjà ! Elle est si heureuse et positive, qu’elle a l’impression de ne manquer de rien ! Evidement, elle a le respect et l’amour de son papa et de sa maman qui savent partager leur temps de travail avec leur temps en famille. Cette fille grandit en harmonie, elle n’a pas besoin de se comparer aux autres pour exister, elle est bien dans sa peau, elle est heureuse…
Je connais d’autres filles, qui n’ont malheureusement jamais l’attention de leurs parents ; leurs parents ont commencé par les mettre devant la télé lorsqu’elles étaient toutes petites. Ensuite, ces mêmes parents, leur ont acheté une Nintendo. Plus leurs filles sont distraites, plus ils arrivent à les évader. Ces filles ne se sentent pas aimées, elles ne se sentent pas bien dans leur peau, ainsi la jalousie ne se fait pas attendre. Elles ne sont jamais satisfaites ni heureuses, il leur faut toujours de plus en plus de choses pour les distraire du manque causé par l’absence de rapport avec leurs parents.
Je ne crois pas dans la jadis « nature » humaine faite de haine, de jalousie, d’ambition, de rancœur. C’est juste une question de famille, d’amour, de respect, d’éducation. Le capitalisme n’est que le résultat d’une société en manque de liens d’affection, d’une société qui a perdu toute conscience de vrais rapports humains. Nous pouvons continuer à écrire beaucoup de pages contre le système marchand, on peut toujours le critiquer, le questionner mais nous n’arriverons jamais à convaincre ceux qui ont grandi soumis et obéissants. Ce n’est pas toujours et seulement du cynisme, c’est de l’ignorance mais aussi de la peur de perdre leurs points de repère.
Il y a donc urgence à changer les méthodes éducatives, il faut commencer à accepter d’être questionnés en tant qu’adultes, sans pour autant renoncer à rester fermes face à nos décisions. Il faut avoir le courage de se confronter à soi même, de douter, de chercher, de choisir. J’ai beaucoup voyagé en me questionnant; c’est seulement ainsi que j’ai réussi à ouvrir mon esprit et à trouver des réponses.
Merci à tous ces gens de la Grande Relève qui m’ont appris beaucoup de choses sur cette économie confuse et obscurantiste ; à présent — et grâce à vous — j’ai beaucoup plus d’arguments pour lutter contre ce système autour de moi et pour rêver à une économie différente fait de partage.